Extrait
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Préambule
«Sa présence avait la simplicité inintelligible d'une pierre : en pleine ville, j'avais le sentiment d'être la nuit dans la
montagne, au milieu de solitudes sans vie.»
«L'espace le plus noir s'étendait devant moi. Je n'étais pas dans ce noir mais au bord et, je le reconnais, il est
effrayant. Il est effrayant parce qu'il y a en lui quelque chose qui méprise l'homme et que l'homme ne peut pas supporter sans se perdre. Mais se perdre, il le faut ; et celui qui résiste devient
ce noir même.»
«Alors le roi... se mit à pleurer : "Mon fils Absalom, mon fils, mon fils Absalom, que ne suis-je mort à ta place, Absalom mon fils, mon fils !"»
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La mort d'un enfant est une des expériences les plus douloureuses pour n'importe quel parent. Cette notion est parfois oubliée ou a perdu sa force tant dans le corps médical que dans le grand public malgré les efforts et les témoignages de certaines associations, de certains auteurs. Les raisons en sont nombreuses et parmi elles la multiplication des informations terribles qui nous apprennent, jour après jour, pays après pays, que des enfants ont péri. Mais les caractéristiques spécifiques de chaque mort individuelle tendent à y disparaître : certaines nous apparaissent tellement massives (guerre, génocide, catastrophe naturelle), d'autres comme les meurtres d'enfants tellement étrangères à l'expérience quotidienne de la plupart d'entre nous, d'autres encore s'inscrivent dans les évolutions tourmentées et violentes de nos sociétés comme celles en rapport à la toxicomanie, aux accidents de la circulation, aux suicides d'adolescents. De plus, nous avons tous tendance, que nous soyons soignant ou soigné, à ne voir et à ne nous rappeler que les bonnes nouvelles, les progrès, les réussites médicales, et à oublier les échecs. Pour un parent, l'expérience de la mort d'un enfant apparaît tellement dure qu'elle en devient intransmissible ; aux autres, elle apparaît incompréhensible et ils ne peuvent lui faire place dans les images qu'ils ont de l'enfance et de la parentalité. Il est difficile de trouver la juste façon de transmettre et de faire connaître une telle expérience, entre les articles des revues professionnelles destinées aux soignants et les témoignages des parents qui l'ont vécue. Nous avons voulu associer l'intensité de l'expérience des parents en deuil, au plus près de leur parole, et la rigueur de l'observation et de l'analyse.
Même si environ 80 % des enfants guérissent, le cancer reste la première cause de mortalité non accidentelle dans l'enfance. En 1999 et 2000, nous avons proposé aux parents dont les enfants étaient décédés moins de deux ans et plus de deux mois auparavant de participer à un groupe de parole, sans thèmes ni programme prédéfinis. Mon rôle était de suivre le développement des discussions, dans leurs dimensions conscientes et inconscientes, de faire part aux parents de ce que j'avais compris, d'être attentif à ce que leur souffrance ne devienne ni excessive ni paralysante. Deux groupes, de douze et treize parents, se sont succédé, comportant chacun dix réunions pendant six mois. Elles se sont déroulées à l'institut Gustave-Roussy. Chaque réunion durait 1h30 et était enregistrée sur magnétophone avec l'accord des parents. Chaque groupe s'est retrouvé six, douze et vingt-quatre mois après la dixième réunion. Nous présentons et analysons le contenu du premier groupe, peu différent du deuxième. De tels groupes s organisent depuis de façon régulière dans le département d'oncologie pédiatrique de l'institut Gustave-
Nous espérons que ce livre sera utile aux parents d'un enfant qui risque de mourir ou qui est mort. Même si l'expérience qu'ils vivent leur paraît unique, d'autres parents ont traversé la même épreuve et ont su la dépasser. Nous espérons de même que l'ouvrage aidera les soignants, quelle que soit leur fonction, à mieux percevoir et comprendre cette expérience, à prévenir ou apaiser l'excès de souffrance des parents dans le cadre d'une relation individuelle ou de groupe.
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Biographie de l'auteur
Daniel Oppenheim est psychiatre et psychanalyste à Paris, docteur en psychopathologie fondamentale. Pendant vingt-cinq ans, il a travaillé dans le département de cancérologie pédiatrique de l'institut Gustave-Roussy à Villejuif, fondé et animé le comité SFCE-Psy de la Société française des cancers de l'enfant. Il est membre du comité Ethique et cancer (présidé par Axel Kahn) de la Ligue contre le cancer. Il a publié de nombreux livres et articles dans des revues francophones et internationales.