Certains jours, je ne me lève pas. Je suis si fatiguée que je ne me rends même plus compte de la réalité. Pas la force de regarder la télé, l'ordi ni même d'aimer. Je ferme les yeux avec en bruit de fond la radio. Comme je ne comprends pas l'émission, j'en déduis que je me suis endormie sans m'en rendre compte, par intermittence. Aucune récupération pour autant, l'épuisement m'éloigne peu à peu et m'essouffle. Mon corps lui-même se place en position d'économie, comme après une opération, ni ressource ni recul. Je passe des heures à me motiver pour préparer un repas, au moins celui du soir, juste pour ne pas avoir l'impression que j'ai abandonné ma famille. La douche, que dis-je la douche, me laver les dents me parait un exploit. Je n'ai pas la force de digérer mais je m'oblige à manger, comme si le problème venait de là, des aliments lourds et riches.
Au pire des crises, j'aimerais pleurer mais je n'ai pas de larmes. Je ne suis pas triste, simplement cela me ramène à des périodes de ma vie où mon corps brisé par le chagrin me lâchait un peu plus chaque jour. Fermez la porte. Je voudrais juste oublier, plus envie de me battre ni de continuer. J'en fais le constat neutre: si je m'envolais, là, maintenant... Tous ces philosophes qui donnent leur propre recette du bonheur. Désolée, cher monsieur Robert Misrahi, vous n'y êtes pour rien, pas plus que vous, mon chouchou Alexandre Jollien. Vous avez tellement raison, je suis le maître de mon destin, de ce que j'en fais, de comment je le vis. Le bonheur se décide.
Et si je décide que je n'en veux plus, que je suis fâchée avec lui ? Trop souvent arnaquée au moment où j'ai relâché ma garde... Non merci, sans moi. Ma vieille carcasse est fatiguée. Que me proposez-vous ? Un visage un peu plus flétri à l'automne de ma vie, la peur au ventre pour ceux que j'aime et rester dans ma tête jusqu'à la fin ?
Funambule parfois autant attiré par l'espoir et un instinct de survie très fort que par l'envie de couler, façon "grand bleu", allongée dans mon lit, je regarde le ciel. Je sais que je vais
remonter. Jusqu'à la prochaine fois. Je suis seule. Comme on dit, tant qu'on n'est pas passé par là. Cela ne sert à rien de lutter. Il faut juste accepter, il y a pire dans la vie. Et ne pas se
dire que cette fois-ci, on n'a plus envie de remonter...
STME
Chanson d' YVES DUTEIL
Comme une bouffée de chagrin
Ton visage me dit plus rien
Je t'appelle et tu ne viens pas
Ton absence est entrée chez moi
C'est un grand vide au fond de moi
Tout ce bonheur qui n'est plus là
Si tu savais quand il est tard
Comme je m'ennuie de ton regard
C'est le revers de ton amour
La vie qui pèse un peu plus lourd
Comme une marée de silence
Qui prend ta place et qui s'avance
C'est ma main sur le téléphone
Maintenant qu'il n'y a plus personne
Ta photo sur la cheminée
Qui dit que tout est terminé
Tu nous disais qu'on serait grands
Mais je découvre maintenant
Que chacun porte sur son dos
Tout son chemin comme un fardeau
- TON ABSENCE -
Les souvenirs de mon enfance
Les épreuves et les espérances
Et cette fleur qui s'épanouit sur le silence...
Ton absence
Je dors blotti dans ton sourire
Entre le passé, l'avenir
Et le présent qui me retient
De te rejoindre un beau matin
Dans ce voyage sans retour
Je t'ai offert tout mon amour
Même en s'usant l'âme et le corps
On peut aimer bien plus encore
Bien sûr, là-haut de quelque part
Tu dois m'entendre ou bien me voir
Mais se parler c'était plus tendre On pouvait encore se comprendre
Mon enfance a pâli, déjà
Ce sont des gestes d'autrefois
Sur des films et sur des photos
Tu es partie tellement trop tôt
Je suis resté sur le chemin
Avec ma vie entre les mains
À ne plus savoir comment faire
Pour avancer vers la lumière
Il ne me reste au long des jours
En souvenir de ton amour
Que cette fleur qui s'épanouit sur le silence...
Ton absence.
Aujourd’hui elle aurait eu seize ans et qui s’en souvient encore? Au fur et à mesure qu’il s’écoule, le temps me la vole un peu plus chaque jour, éteignant jusqu’à l’insoutenable douleur qui me déchirait les entrailles mais au moins me rappelait l’indicible. Une amie qui attend une petite fille m’a demandé si je ne connais pas un joli prénom. Si, le plus beau du monde, mais comment le lui proposer? N’aurait-elle pas un sursaut de superstition déplacé? Tout simplement, c’était, c’est celui de mon enfant et je n’ai pas plus envie de le partager que je n’ai pu échanger mon chagrin ou mes souvenirs aussi petits que ta courte vie. Quand on pleure quelqu’un, on peut le faire revivre à travers nos souvenirs, il aurait dit, il aimait, il était si… Quand on perd son bébé, son tout petit, on ne sait pas qui on pleure. Juste qu’on en crève, que l’on n’aurait jamais imaginé qu’on peut souffrir autant, d’ailleurs si on nous l’avait dit, on n’aurait pas cru. La terre devient une prison, un enfer. Le vent nous rappelle qu’elle est seule dans la nuit derrière des murs froids, sans nous. Nous sans elle, à jamais. On se raccroche à l’au-delà sauf que bizarrement, comme on est mort à l’intérieur, on ne fait plus partie de ce monde de vivants. Comment va se passer notre « remord »? Une sorte de rattrapage du corps sur l’esprit? Consumation lente et sournoise même quand notre esprit commence à nous accorder un peu de répit dans la douleur. Plus de larme, source tarie ou peur de se noyer. C’est définitif. Je regarde mes autres enfants en n’osant pas m’avouer la panique qui s’empare de moi à l’idée qu’ils sont eux aussi mortels. Prier, implorer.
Chaque matin, réveil en vrac, le corps tout entier fait si mal, le vide l’espace d’un instant. Que… Puis cela vous revient la seconde d’après, avec la délicatesse d’un convoi de 38 tonnes. Elle n’est plus là, plus de berceau ni de poussette à sortir, de chants ou de gazouillis. Je cherche son odeur dans un body que j’ai mis sous plastique et que je n’arrive pas à laver. Je caresse un pyjama dans une boutique, j’y enfouis mon visage. C’est tout ce qu’il me reste, des sensations animales, aucun mot pour m’exprimer, je suis enfermée dans mon deuil, orpheline de mon petit trésor perdu. Ne l’achète pas, ne fais pas ça je t’en prie, juste la petite robe pour la grande mais pas la grenouillère. Tu es déjà si près de basculer…
Le courageux petit soldat a continué à se battre pour fonder une famille, la peur au ventre mais sans rien laisser paraitre, du moins c’est ce qu’elle a cru. On ne pouvait pas laisser la grande seule, ainée d’un envahissant fantôme. La vie a repris et la maison de nouveau résonné de rires d’enfants, cadeau de la vie, plus forte que tout.
Aujourd’hui, c’est peut-être cette leçon d’optimisme et de force le plus déprimant. J’ai survécu à ce petit être fragile que j’étais censée protéger et qui n’a pas hésité à me voler la politesse face à la mort et cela fait de moi une monstrueuse survivante. Chez certains, ce genre de virus foudroyant se manifeste par une angine à moins que ce ne soit dans de très rares cas la conséquence de… par rapport à… anticorps de la mère… Je n’ai pas voulu savoir. Cela lui appartient. Puisqu’elle a voulu faire son indépendante. Mais comme dans « Le fils » de Michel Rostain, je ne peux m’empêcher de douter de ton envie de vivre, de te battre. Quelle idée de t’appeler "tendre" en arabe aussi. Il ne faut pas être trop doux dans la vie ma fille, regarde où cela t’a menée. Le reste du monde ne peut pas avoir continué comme avant alors que mon bonheur a volé en éclat.
Lorsque j’irai mieux, je me rendrai compte que personne ne fait semblant pour m’épargner. Non, incroyablement, la terre a bien continué de tourner, à l’envers probablement mais il n’y a que
moi qui le sais et je devrai vivre avec cela. Je repousse avec effroi l’idée qu' un jour peut-être, cela fera 40 ans qu’elle m’a lâchement abandonnée, un simple point dans une existence
saturée. Elle s’enfuit. A peine quelques photos dont certaines à l’hôpital, un petit rectangle de gravier rose près d’un arbre que l’on peut visiter jusqu’à 18 h, désolée ce n’est pas trop mon
truc. Aujourd’hui tu aurais eu 16 ans. Bon anniversaire L . ♡
STME
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Par moments
Tu me regardes
Un instant après tu regardes le nuage
Me regardant- je le sens - tu es bien loin
Mais tout proche
Quand tu regardes le nuage...
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Cela fait un an aujourd'hui que le soleil de ma vie s'est éteint, me laissant derrière lui, avec cette douleur au ventre, cette boule à la gorge et les yeux brûlés à force de larmes. J'ai accepté notre sort sans jamais me plaindre mais chaque matin j'implore pour trouver la force de continuer. Je me bats pour les enfants, les miens et ceux des autres, ceux qui n'ont rien, qui ont aussi perdu la famille et l'amour.
La première année passée comme dans un rêve, en espérant parfois que je vais me réveiller, qu'il va comme autrefois passer la porte et m'appeler. Le temps de la survie laisse place peu à peu à la vie qui reprend, un quotidien sans lui et cette idée m'est insupportable.
Aujourd'hui j'ai mal, un peu plus que les autres jours. Il y aura des périodes qui m'enverront ainsi de plus cruelles piqûres de rappels. Je commence à peine à comprendre que le temps m'aidera.
J'ai dans la poche le stylo qu'il aimait tant et j'aime à le caresser discrètement, sans fin. Non, mon amour, rien ne pourra jamais nous séparer. Tu es vivant, d'une autre façon. Tu es en moi et
je me sens plus forte. Je ne veux plus pleurer, mais sourire en t'évoquant. Notre histoire est belle. Elle nous appartient pour l'éternité. Merci, oui merci pour ce beau cadeau que tu m'a fait.
Ne t'inquiète pas mon amour. A présent, tout ira bien
STME
Sa rose...
Chaque année à mon arrivée, Papy me fait l’honneur de son jardin et je retrouve avec bonheur les parfums du chèvrefeuille, du jasmin, du musc de nuit et le fuchsia du bougainvillier. Ce dont il est le plus fier, à juste titre, est sa collection de roses. J’attends avec tendresse qu’il m’appelle
« Venez, Marrie » avec ce charmant accent roulant, comme un léger dérapage sur les « r » de cet homme si cultivé.
Inlassablement à chaque fois, il me présente ses nouvelles acquisitions et nous faisons l’état des lieux, comme pour vérifier que l’oranger et le citronnier ont bien résisté à l’hiver. Certaines plantes changent de place, au gré de ses inspirations. Il me parle de ses plans. De temps en temps, j’ose intervenir pour imaginer une vue de ma fenêtre, tout en sachant que le jardinier écoute avant tout son talent créateur. L’un de ses moments préférés est celui où il me conduit à la rose de chacun de ses petits enfants. A chaque naissance, il en a choisi soigneusement une espèce qu’il a mise en terre et bichonné. Sa façon à lui de participer à la transmission de la vie peut-être, de la voir grandir loin de lui.
Il arrive parfois que les roses résistent mieux que
nous-mêmes. J’y pense tout le long de la visite et pourtant je n’ai jamais pu lui demander laquelle il lui avait destinée, à cette enfant dont il n’a connu que la fleur, s’il avait supporté
de la soigner les jours suivants. Je l’imagine belle et délicate, petite et douce. Le genre d’idées qui sont autant d’épines dans le cœur et qui ne font jamais revenir personne. Je l’aurais
caressée une dernière fois, bercée comme par le vent… Jamais nous n’en parlerons.
STME